Faute d’avoir jamais assisté à l’inauguration d’un hypermarché, on manque de points de comparaison pour juger de celle du premier Costco en France. Mais le tralala déployé ce matin pour cette ouverture à Villebon-sur-Yvette (Essonne) ne doit pas être si courant. L’Américain, numéro trois mondial de la grande distribution derrière Walmart et Amazon, a quand même avalé sept ans de procédures et de recours intentés par Auchan, Cora et Intermarché avant de pouvoir accueillir son premier client. Maintenant qu’ils sont là, on comprend que les dirigeants aient envie de fêter ça. «Nous avons construit face à des vents contraires», a euphémisé Gary Swindells, le président de Costco France.
8 heures. Pas question d’envoyer la sécurité déverrouiller les portes et saluer les quelques lève-tôt… Devant l’entrée, une petite foule qui n’a pas été découragée par l’heure matinale s’accroche à des chariots vides (pour l’instant). De l’autre côté des vitres, monsieur le maire de Villebon, Dominique Fontenaille et le président Swindells enchaînent les discours. Les gens écoutent poliment, malgré un soleil qui commence à cogner. Les prospectus des «offres exclusives d’ouverture» font d’utiles éventails.
On coupe le ruban et là, miracle, les premiers clients entrent sous les applaudissements du personnel, rangé en haie d’honneur. On crie de joie, l’ambiance vaut bien celle d’un stade de foot et les visiteurs n’affichent pas cette face de carême que provoque un samedi de courses chez Carrouf'. A vrai dire, à part une mère qui morigène son mollasson d’ado et un retraité râleur, on ne croise que des gens souriants et qui se parlent.

Enormes gambas

Génie du lieu ? Le «hangar» Costco, comme dit la firme en parlant de ses magasins, crée un effet spectaculaire alors que, bon, c’est bien un hangar. Mais tout y est XXL. La hauteur sous plafond, les 12 000 mètres carrés de vente, et la marchandise. Des nounours de la taille d’un humain obèse, des bouées de piscine de celle d’une capsule Soyouz et des gambas si énormes qu’elles inspirent un trait d’humour à un client qui demande si «elles viennent de Tchernobyl».
En fait, la dimension extra large des produits est constitutive du concept. La firme américaine a bâti son succès sur la vente en grandes quantités. Elle propose beaucoup moins de références qu’un hypermarché (4 000 contre 100 000 environ) mais elle achète d’énormes cargaisons de chaque produit et les propose à ses clients plutôt en paquets de douze qu’à la pièce. On voit donc chez Costco des chariots remplis de barils de bretzels ou de packs de trente bières. Ramenés à l’unité, les prix sont intéressants mais le système nécessite des rangements à l’avenant. Pour en bénéficier, il faut souscrire une carte d'adhésion annuelle (36 euros).
A Villebon-sur-Yvette, Costco a atterri dans la zone d’activité de Courtabœuf, «une des trois principales en Europe», explique Dominique Fontenaille, le maire. Dans un large secteur aux environs, on trouve aussi bien de grosses maisons bourgeoises que des quartiers d’habitat social et cette diversité se voit ce matin dans les allées. On peut dépenser beaucoup d’argent ici, ne serait-ce qu’en investissant 199,99 euros dans un Sauternes Château d’Yquem 2010 (contre 400 à 500 normalement…) Mais on peut aussi acheter pour pas cher un stock de six mois de couches.

Fidélité

Sur sa commune, qui compte 12 000 emplois pour 10 500 habitants, Dominique Fontenaille a déjà sur son territoire un bon assortiment de grande distribution et précise : «Un hyper comme on en a partout, j’aurais lutté contre.» Mais il a soutenu le projet de Costco, un «modèle commercial d’un genre nouveau», et a d’ailleurs vu son permis de contruire contesté au tribunal par Auchan.
Sur le plan social, il est certain que l'Américain est «d’un genre nouveau», aux Etats-Unis du moins. Les collaborateurs y bénéficient d’une protection sociale «à l’européenne» dont les 2,3 millions d’employés du numéro un Walmart n’ont jamais vu la couleur. Résultat : 6% de turn-over seulement, à ramener aux 35 à 40% qui caractérisent la grande distribution, du moins en France. Dans les allées du magasin de Villebon, où les recrutés le sont tous de fraîche date, certains salariés n’en reviennent toujours pas «que tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom». Même Gary le PDG qui, en bon Québécois, a le tutoiement facile. Il faudra quelques années pour voir si le modèle social de Costco, importé dans l'Hexagone, se démarque de celui de ses concurrents par une fidélité accrue à la maison.
Là où l’on pourra aussi mesurer la différence, ce sera dans le rapport aux fournisseurs. La moitié d’entre eux sont des PME locales et les acheteurs ont pour consigne, assure Gary Swindells, de ne jamais passer des commandes représentant plus de 25% du chiffre d’affaires de ces entreprises. De sorte qu’en cas de contrat non renouvelé, la PME n’y laisse pas sa peau. Le souci du sort des producteurs et des fournisseurs n’est, là non plus, guère la marque de fabrique de la grande distribution à la française. Enfin, autre différence à même de déprimer la concurrence, il y a deux personnes en caisse, dont une qui emballe les achats. Même si Costco vend aussi des diamants, le vrai luxe se niche peut-être là.
Sibylle Vincendon